AUTODÉTERMINATION
Bénéficiaires, mais conducteurs
Basé sur les 13 principes de Cnaan, dont l’autodétermination, le concept d’accompagnement de la Fondation Domus implique l’intégration des bénéficiaires dans les décisions qui les concernent. Cet été, pour leurs vacances, ils ont choisi Rimini.
Margot, Mélina et Clémence sont travailleuses sociales à la Fondation Domus. L’été dernier, elles avaient pour mission d’organiser les vacances des bénéficiaires de l’institution. Deux groupes de travail ont été constitués, qui intégraient les personnes accompagnées. «C’était une évidence pour nous, le principe d’autodétermination est cultivé au quotidien à Domus. Et il ne s’agissait pas de nos vacances, mais de celles des bénéficiaires. Leur investissement était précieux.»
Besoins, envies et contraintes budgétaires
Première étape, susciter l’intérêt. Des affichettes sont posées dans les unités de vie et une séance ouverte à tous est mise sur pied. «Nous y avons expliqué l’importance de participer, pour pouvoir choisir la destination, l’hébergement, les activités, etc.» Deux groupes de travail sont alors constitués, afin de permettre à chacun·e de s’exprimer. Les contraintes budgétaires sont expliquées, les besoins et envies verbalisés, et, au bout de la démarche, la majorité choisit la station balnéaire italienne de Rimini. «Je voulais aller au bord de la mer pour me baigner», témoigne l’un d’eux. «J’ai apprécié de participer à l’organisation, ça permet de se lancer de petits défis et de se prouver qu’on est capable», ajoute son voisin.
Au sein de la fondation, les bénéficiaires qui le souhaitent peuvent également participer au colloque institutionnel, à différents groupes de travail liés à des projets (spiritualité, affectivité, etc.), récemment à un World Café créatif autour des festivités du 50e anniversaire, et régulièrement les portes s’ouvrent pour leur offrir une place dans des cercles de décision qui sont susceptibles d’influencer leur quotidien.
«Leurs droits sont identiques aux nôtres»
La Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) doit encore faire son chemin dans les institutions, comme l’explique Pierre Margot-Cattin, ancien membre de la délégation suisse à l’ONU et professeur associé à la Haute école et école valaisanne de travail social.
Qu’est-ce que la CDPH?
Il s’agit de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Rédigée en 2004, elle a été ratifiée par 175 pays, dont la Suisse en mai 2015.
En quoi représente-t-elle une révolution?
Au fond, en rien. Les droits des personnes en situation de handicap sont les mêmes que ceux de tout un chacun, mais les personnes avec handicap sont en général oubliées, comme invisibles. L’article 19, par exemple, article central de la CDPH, indique que «Les Etats Parties […] reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter […] la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société.» Ce droit à l’égalité est fondamental. Il implique que les personnes handicapées puissent choisir non seulement leur lieu de vie, mais aussi, et c’est décliné dans les autres articles, leur vie affective, leur sexualité, leur traitement médical. Elles doivent également être rémunérées pour leur travail, leur droit à la propriété intellectuelle sur leurs œuvres et productions culturelles. Elles ont droit à l’intimité et à la vie de famille (respect d’un espace privé, respect du secret du courrier reçu dans une boîte aux lettres privative, etc.). Tous ces droits interrogent dans un contexte d’institutionnalisation.
Comment leur «rendre» ces libertés?
Les postures professionnelles doivent évoluer, se distancier du paternalisme de la prise en charge pour aller vers l’accompagnement. Nous l’enseignons depuis une dizaine d’années à la Haute école. L’institution ne doit plus être un monolithe qui prend en charge les gens dans le besoin, mais une structure qui propose des prestations à des adultes et les aide à poser des choix de vie éclairés. La Fondation Domus l’a bien compris et met en place, depuis plusieurs années, un concept d’accompagnement basé sur l’autodétermination.
Que peuvent encore faire les institutions?
Faciliter cette transition en soutenant leurs équipes par la mise à disposition de formations continues dédiées à ce changement de paradigme et de posture. Elles peuvent aussi faire évoluer leurs prestations en ne les déployant plus seulement à l’intérieur de leurs murs, mais aussi à domicile.
Y’a-t-il une base juridique contraignante pour le respect de la CDPH?
Oui et non. Le Valais a été le premier canton romand à créer une base juridique complète pour la mise en œuvre de la convention en 2021. Le Grand Conseil a approuvé une modification de la loi afin d’y intégrer la définition des droits des personnes handicapées. Mais il n’y a pas, à ce jour, de moyen de contrainte. On peut seulement crier à l’injustice quand on en constate une. Le Canton a en revanche un devoir de surveillance. Peut-être ira-t-il un jour un peu plus loin en mettant en place un système de controlling qui lui permettrait de conditionner le subventionnement des institutions aux mesures qu’elles prennent pour assurer le respect des droits des bénéficiaires.
Qu’en est-il des personnes sous curatelle?
Là aussi, un changement doit intervenir. Le nouveau droit des curatelles stipule que la capacité de discernement soit évaluée «sur mesure», pour chaque acte de la vie. Or, ça n’est souvent pas le cas. On se souvient de ce couple de personnes handicapées qui s’est récemment marié symboliquement dans notre canton, leur curatelle leur restreignant leur droit à un mariage civil. Dans le même ordre d’idée, on a encore tendance à priver automatiquement de ses droits citoyens (droit de vote et d’éligibilité) une personne placée sous curatelle. Il faudrait mettre en place un accompagnement à la citoyenneté.